Traité sur les pandémies

Les restrictions sanitaires restent du ressort des Etats

Publié le 23.04.2024, 20:06 (CEST)

Le patron de l'OMS bientôt à la tête d'une dictature sanitaire ? A en croire certains, tel serait l'objectif du futur accord international sur les pandémies. Une croyance tenace, mais infondée.

Fin mai, les 194 Etats membres de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) devraient adopter un projet d'accord international visant à mieux protéger le monde contre les éventuelles futures pandémies.

Depuis le lancement des négociations, en 2021, ce projet nourrit de nombreux fantasmes. Sur les réseaux sociaux, des publications virales répandent notamment l'idée que le texte augmenterait considérablement les pouvoirs du directeur général de l'OMS. Investi de nouvelles compétences, ce dernier pourrait par exemple « déclarer seul une situation d'urgence » ou encore « décider seul » d'imposer certaines mesures comme des couvre-feux, confinements, obligations vaccinales, restrictions de voyages, etc., prétendent certains.

Mais ces affirmations, relayées en plusieurs langues sur Facebook, X et Telegram, notamment, sont trompeuses. Le texte, encore en discussion fin avril 2024, ne contient aucune disposition en ce sens.

Evaluation

La dernière version disponible du texte réaffirme la souveraineté des Etats dans la mise en oeuvre des politiques sanitaires. Il n'est question nulle part d'autoriser le patron de l'OMS à décider seul des mesures à prendre. Les Etats restent par ailleurs libres de ratifier ou non l'accord, a expliqué une experte interrogée par la Deutsche Presse-Agentur (dpa).

Faits

Alors que le Covid-19 a mis en lumière la difficulté des Etats à coopérer et répondre de manière solidaire à une pandémie mondiale, l'OMS a lancé des négociations, en 2021, en vue d'aboutir à un accord international pour mieux prévenir et lutter contre les prochaines pandémies.

Au coeur de cette initiative réside « la nécessité de garantir l'équité dans l'accès aux outils nécessaires à la prévention des pandémies (y compris les technologies telles que les vaccins, les équipements de protection individuelle, l'information et l'expertise) et dans l'accès aux soins de santé pour tous », indique l'OMS sur son site web.

Les négociations se déroulent au sein d'un organe spécialement créé par l'OMS pour rédiger le projet d'accord. Il s'agit de l'Intergovernmental Negotiating Body (INB), dans lequel chaque région du monde est représentée. La dernière version du texte élaborée par l'INB a été publiée le 13 mars 2024.

Dans ce document, il n'est toutefois question nulle part d'accroître les pouvoirs du secrétariat de l'OMS ou de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, dans le sens qu'indiquent certains internautes.

Droit souverain des Etats

Au contraire, le texte réaffirme l'importance de la souveraineté des Etats dans la mise en oeuvre des politiques sanitaires ainsi que du respect des droits humains et des libertés fondamentales.

« L'OMS est une organisation intergouvernementale qui ne peut agir que sur mandat des Etats », explique à la dpa Stéphanie Dagron, professeure à l'Université de Genève, où elle enseigne notamment le droit international de la santé. Cela signifie que « seuls les Etats décident des compétences qu'ils transfèrent ou non à l'OMS ».

Affirmer que l'accord permettra au patron de l'OMS d'imposer seul des restrictions sanitaires, telles que des couvre-feux, mesures de confinement, etc. « est absolument faux », assure l'experte. « Il n'y a aucune disposition en ce sens. »

Tel qu'il est formulé à ce stade, l'article 24 (point 3) de la dernière version publique du texte stipule d'ailleurs noir sur blanc que « rien dans l’Accord de l'OMS sur la pandémie ne doit être interprété comme accordant au Secrétariat de l'OMS, y compris son directeur général, toute autorité pour ordonner, modifier ou prescrire de quelque manière que ce soit des lois ou politiques nationales, ou pour prescrire ou imposer des mesures spécifiques, comme interdire ou accepter des voyageurs, imposer des mandats de vaccination ou thérapeutiques ou encore des mesures de diagnostic ou la mise en oeuvre de confinement. »

Lutte contre la désinformation

Autre objet de fantasmes : la prétendue mainmise de l'OMS sur la vérité. A en croire les publications partagées sur les réseaux sociaux, l'OMS imposerait dans le texte sa définition de ce qui relève ou non de la désinformation. Or cette allégation est également trompeuse.

Si la dernière version du projet d'accord évoque bien la désinformation à l'article 18, ce dernier exhorte les parties prenantes à « favoriser l'accès en temps utile à des informations crédibles et fondées sur des données probantes concernant les pandémies et leurs causes, effets et moteurs ».

Les Etats sont également invités à « échanger des informations et coopérer, conformément au droit national, pour prévenir la désinformation » ainsi qu'à « développer les meilleures pratiques afin de renforcer l'exactitude et la fiabilité des communications en cas de crise », détaille le texte.

Mais nulle part, on ne trouve de définition de ce qu'est ou non la désinformation, contrairement à ce qu'affirment les internautes.

Les Etats libres de ratifier l'accord ou pas

Si les négociations progressent comme prévu, le projet d'accord devrait être soumis le 24 mai prochain à l'Assemblée mondiale de la Santé, l'organe de décision de l'OMS, qui réunit des délégués de tous les Etats membres.

Pour être adopté, le texte nécessite la majorité des deux tiers. Mais même s'il est approuvé, « les Etats ont toujours la possibilité de ne pas le ratifier », poursuit Stéphanie Dagron.

En droit international, la ratification est l'une des dernières étapes de la conclusion d'un traité. Elle désigne l'acte par lequel un Etat consent officiellement à être lié à un traité international précédemment signé.

Source d'infox récurrentes

Depuis son lancement, le projet d'accord sur les pandémies charrie bon nombre de fantasmes et spéculations sur les réseaux sociaux.

En mars 2023, l'OMS avait déjà officiellement démenti l'affirmation selon laquelle le texte permettrait de passer outre la souveraineté nationale.

Cette fausse croyance revient cependant régulièrement sur le devant de la scène, en parallèle à d'autres interprétations trompeuses, comme l'a déjà démontré la dpa ici ou encore ici.

(Situation au 23.04.2023)

Liens

Publications Facebook I, II, III, IV (versions archivées I, II, III, IV)

Publications X, Telegram (versions archivées I, II)

A propos du lancement des négociations (version archivée)

Q&A sur le projet d'accord de l'OMS (version archivée)

A propos de l'Intergovernmental Negociating Body (version archivée)

Dernière version disponible du texte - 13 mars 2024 (version archivée)

A propos du directeur général de l'OMS (version archivée)

A propos de Stéphanie Dagron (version archivée)

A propos de l'Assemblée mondiale de la Santé (version archivée)

Mise en garde de l'OMS contre la désinformation (version archivée)

Fact-checks de la dpa I, II

À propos des fact-checks de la dpa

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