Proposition hors contexte

Un projet de loi irlandais contre les discours de haine

Publié le 5.5.2023, 14:48 (CEST)

L'Irlande planifierait-elle d'avoir recours à la censure face aux médias alternatifs ? Non. Cette fausse idée provient d'une lecture erronée d'un projet de loi visant à réduire les discours haineux.

Une nouvelle loi interdirait désormais aux citoyens irlandais de lire des informations issues de sources « non traditionnelles ». C’est en tout cas ce qu’affirme un article relayé dans plusieurs langues sur les réseaux sociaux (par exemple ici sur Facebook et ici sur Twitter). D’après celui-ci, cette loi prévoirait même des peines de prison pour les personnes ayant consulté sur leur téléphone des articles qui n’auraient pas été approuvés au préalable par des fact-checkeurs. Mais-est ce bien vrai ?

Évaluation

C’est faux. Un projet de loi irlandais, qui n’est actuellement pas encore entré en vigueur, a pour objectif d’appliquer des sanctions plus strictes contre les personnes incitant à la haine et à la violence. On ne parle donc ici pas seulement des médias alternatifs, mais de tout individu faisant des déclarations publiques de ce type. Ceux qui reçoivent ou lisent un tel message ne sont pas punissables.

Faits

L’article partagé en ligne a été publié le 1er mai 2023 sur le site The People’s Voice - anciennement NewsPunch – et circule dans différents pays et langues depuis. Ce blog est spécialisé dans la diffusion de fausses informations, dont certaines ont été signalées par la dpa auparavant (notamment ici, ici et ici).

Tout d’abord, contrairement à ce que l’article affirme, le texte évoqué est un projet de loi et non une loi. Baptisé « Projet de loi sur l'incitation à la violence ou à la haine et les délits haineux » (« Incitement to Violence or Hatred and Hate Offences Bill » en anglais), il a pour ambition de réprimer les discours incitant à la haine ou à la violence. Le projet de loi a été approuvé le 26 avril 2023 par la Chambre basse du Parlement irlandais (appelée Dáil Éireann), et devrait être voté prochainement par le Sénat (Seanad Éireann).

De plus, son contenu ne correspond absolument pas à celui présenté par The People’s Voice.

Que dit ce projet de loi ?

Le projet de loi vise à criminaliser l'incitation à la violence ou à la haine contre une personne ou un groupe présentant certaines caractéristiques. Dix traits sont inclus, tels que la couleur de peau, le genre, la religion ou encore l'orientation sexuelle.

L’élément-clé est que la proposition concerne des personnes ou des organisations qui expriment et diffusent des messages violents ou haineux. Celles-ci peuvent intervenir sur tous types de plateformes, dont les médias ; que ce soit dans un journal, un podcast ou bien dans une publication sur les réseaux sociaux. Il n’y a donc pas que les médias alternatifs, souvent opposés dans l’imaginaire collectif aux médias dits grand public ou « mainstream », qui sont visés. Tous les médias confondus sont potentiellement concernés par ce projet de loi.

En outre, le texte ne prévoit aucune sanction à l’encontre des personnes qui liraient ou entendraient de tels messages de haine. Il porte uniquement sur celles qui les formuleraient.

Quelles sanctions sont envisagées ?

Trois articles du projet de loi décrivent quelles actions seraient punissables et quelles sanctions pourraient être imposées. Pour chacun de ces articles, il existe une disposition rappelant le droit à la liberté d'expression.

La section 7 stipule qu’une personne pourrait se rendre coupable d’une infraction si elle communique du matériel à (une partie de) la population ou partage du matériel dans un lieu public qui incite à la violence ou à la haine contre l'un des groupes protégés. L’intention est un critère déterminant. La volonté de cette personne d'inciter à la haine ou à la violence doit être clairement établie. La peine maximale prévue dans ce cadre est de 5 ans de prison.

La section 8 traite de l'apologie, de la négation ou de la banalisation d'un génocide, d'un crime contre l'humanité, d'un crime de guerre ou d'un crime contre la paix. Ici aussi, le message doit être exprimé en public ou devant un public pour être punissable. Toute personne se rendant coupable d’un tel acte est passible d’une peine maximale d’un an de prison.

Enfin, la section 10 porte sur le fait de préparer ou de posséder du matériel qui incite à la haine ou à la violence, avec l'intention de partager ce matériel avec le public. De nouveau, l'intention de l’auteur joue un rôle important. La peine maximale prévue est de deux ans de prison.

Un débat animé

Le projet de loi a suscité un long débat au sein du Parlement irlandais. Il a également été vivement critiqué dans le pays par l’Église catholique, mais aussi en dehors, avec des personnalités comme Elon Musk ou Donald Trump Jr., s’affichant en défaveur du projet.

Pour ses défenseurs, le texte a pour but de remettre au goût du jour une loi de 1989, considérée comme inefficace. En effet, selon le site Irish Legal News, seules 50 poursuites – qui ne sont pas nécessairement suivies de condamnations - en vertu de cette loi ont été recensées depuis sa mise en vigueur.

(Situation au 05.05.2023)

Liens

Publication Facebook (version archivée)

Publication Twitter (version archivée)

Article trompeur de The People's Voice (version archivée)

Fact-checks de la dpa sur The People's Voice I, II et III

Aperçu du projet de loi (version archivée)

Processus législatif irlandais (version archivée)

Projet de loi (version archivée)

Vote du 26 avril 2023 (version archivée)

Article de News Letter (version archivée)

Article du Catholic Herald (version archivée)

Article de l'Independent (version archivée)

Article de l'Irish Legal News (version archivée)

À propos des fact-checks de la dpa

Ce fact-check a été rédigé dans le cadre du programme indépendant de vérification de Facebook/Meta. Plus d’informations au sujet de ce programme peuvent être trouvées ici. Pour en savoir plus sur la façon dont Facebook/Meta gère les comptes qui diffusent des informations erronées, cliquez ici.

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