Allégations trompeuses
Des réformes européennes encore loin de la réalité
Publié le 27.2.2024, 14:44 (CET)
Les 27 Etats membres de l'Union européenne seraient-ils voués à disparaître au profit d'une seule grande nation ? C'est en tout cas ce que craignent certains internautes. « C'est terminé, l'Union européenne vient de franchir le Rubicon en votant la création d'un 'Etat européen' », prétendent-ils dans des publications partagées sur différentes plateformes. Sur X, l'une d'elles totalisait pas moins de 520.000 vues fin février.
Mais ces allégations sont fausses et s'appuient sur une méconnaissance des procédures européennes.
Evaluation
L'Union européenne (UE) ne vient pas de voter la création d'un Etat européen. Les publications font référence à une résolution (non contraignante) approuvée par le Parlement européen en novembre 2023. Les propositions qu'elle contient doivent encore être examinées par les Etats membres et suivre une procédure complexe avant d'être éventuellement adoptées. Ce qui n'est pas garanti.
Faits
Les publications renvoient à un article de blog, publié le 4 février 2024. Selon certains internautes, celui-ci s'appuie sur une résolution du Parlement européen datée du 22 novembre 2023, portant sur la révision des traités fondateurs de l'UE.
Adoptée à une faible majorité de 291 voix pour (274 contre et 44 abstentions), cette résolution s'inscrit dans le sillage de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, lancée en mai 2021.
Cette consultation publique, à laquelle quelque 50.000 Européens ont participé, a abouti une année plus tard à une cinquantaine de propositions et à plus de 300 mesures visant à améliorer le fonctionnement de l'UE.
Pour être mises en oeuvre, certaines d'entre elles requièrent cependant la révision du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est pourquoi la résolution demande, entre autres, de réviser ces derniers.
Réforme du processus décisionnel
Parmi les propositions clés, la résolution appelle à réformer les procédures décisionnelles au Conseil européen, en passant du vote à l'unanimité au vote à la majorité qualifiée (soit 55% des Etats représentant au moins 65% de la population de l'Union) dans davantage de domaines, comme les sanctions ou en cas de situation d'urgence. L'objectif affiché est d'éviter les nombreux blocages dus aux pouvoirs de véto des Etats, selon le rapporteur et ex-Premier ministre belge Guy Verhofstadt.
Les eurodéputés demandent également de renforcer les compétences du Parlement européen par un droit d'initiative législative (monopole de la Commission à l'heure actuelle) et un rôle de co-législateur pour le budget à long terme.
Autre proposition : établir des compétences partagées dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'industrie ou encore de l'énergie, des affaires étrangères et de la sécurité extérieure. Mais ceci ne signifie pas que les Etats membres céderont toute souveraineté dans ces matières.
La résolution plaide aussi pour une compétence européenne exclusive en matière d'environnement, de biodiversité et de négociations sur le changement climatique et pour la création d'une union de la Défense, sous le commandement de l'UE.
Enfin, les eurodéputés demandent que le Parlement propose le ou la président(e) de la Commission (rebaptisé « exécutif ») au Conseil qui l'approuverait, et non l'inverse comme c'est le cas actuellement.
Si ces propositions visent à renforcer la capacité d'agir de l'UE, le texte ne contient toutefois aucune référence à la création d'un « Etat européen », comme l'avancent à tort les publications partagées sur les réseaux sociaux. Il s'agit d'une interprétation exagérée.
Prochaines étapes
A ce stade, ces propositions sont en outre encore loin d'être une réalité.
Conformément à la procédure, elles doivent maintenant être examinées par les Etats membres, réunis au sein du Conseil européen. En cas d'accord pour modifier les textes fondateurs, une Convention rassemblant eurodéputés, commissaires européens, parlementaires nationaux et dirigeants de l'UE devrait alors être mise sur pied pour ouvrir les débats.
Ensuite, chaque Etat membre devra encore ratifier les modifications, éventuellement par le biais d'un référendum si la législation nationale le prévoit, ce qui en 2005 avait fait échouer le projet de Traité constitutionnel européen, comme le rappelle l'agence de presse Belga ici.
Une réforme approfondie dépend donc de la volonté politique des Etats membres. Or la révision des traités est loin de faire l'unanimité.
Enthousiasme modéré
Si pour certains, la réforme paraît indispensable, pour d'autres elle est une mauvaise idée.
Le 9 mai dernier, 13 Etats membres ont ainsi exprimé leur réticence à entamer ce vaste chantier. « Bien que nous n'excluions aucune option à ce stade, nous ne soutenons pas les tentatives inconsidérées et prématurées de lancer un processus vers un changement de traité », ont souligné la Pologne, la Roumanie, la Finlande, la Suède, la République tchèque, Malte, la Croatie, la Slovénie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Danemark et la Bulgarie dans une lettre commune.
Ces Etats craignent notamment que l'ampleur de la réforme accapare les institutions et entrave l'avancement d'autres dossiers.
Dans les rangs du Parlement européen, de nombreuses voix au sein des partis souverainistes et d'extrême droite notamment s'étaient également élevées contre le texte, le jugeant « inacceptable » et « dangereux ».
(Situation au 27.02.2024)
Liens
Publications Facebook I, II, III (versions archivées I, II, III)
Publication X (version archivée)
Article de blog (version archivée)
A propos de la résolution du Parlement européen (version archivée)
Résultats du vote de la résolution (version archivée)
A propos de la Conférence sur l'avenir de l'Europe (version archivée)
A propos du traité sur l'UE (version archivée)
A propos du traité sur le fonctionnement de l'UE (version archivée)
A propos de la majorité qualifiée (version archivée)
A propos des motivations de la résolution - Guy Verhofstadt (version archivée)
A propos du droit d'initiative législative (version archivée)
A propos de la convocation d'une Convention (version archivée)
A propos de la ratification par les Etats membres (version archivée)
A propos des Etats réticents (version archivée)
A propos des divisions au PE sur la réforme (version archivée)
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