Chiffres trompeurs

Des accusations insuffisamment étayées contre l'EMA

Publié le 20.02.2024, 15:05 (CET)

Depuis leur développement, les vaccins anti-Covid font l'objet d'une surveillance accrue pour détecter leurs effets indésirables. Malgré tout, ces derniers continuent d'alimenter de fausses rumeurs.

L'Agence européenne des médicaments (EMA) aurait supprimé de sa base de données des milliers de cas d'effets secondaires des vaccins contre le Covid-19. Certains internautes en sont persuadés. « Pour qu'on ne parle plus des effets secondaires de tel ou tel traitement, il suffit de ne plus les enregistrer, voire d'effacer ceux qui ont déjà été enregistrés », prétendent-ils dans des publications largement partagées sur Facebook, X ou encore Telegram. Mais ces allégations sont trompeuses.

Evaluation

Les chiffres qui circulent en ligne ne sont étayés par aucune méthodologie claire, ni source identifiable. Selon l'Agence européenne des médicaments, ces données ne correspondent pas au nombre réel d'effets secondaires signalés et suspectés des vaccins anti-Covid. L'EMA ne peut en outre pas modifier les signalements comme bon lui semble.

Faits

La plupart des publications concernées s'appuient sur un article du blog Covid-factuel.fr. Selon celui-ci, une certaine Catherine Theilhet, présentée comme une informaticienne de la mairie de Paris désormais à la retraite, aurait comparé les « chiffres de l'EMA » de 2021 à 2023 avec ceux publiés au 1er janvier 2024. Elle aurait alors constaté que des dizaines de milliers de cas d'effets indésirables, autrefois répertoriés, auraient disparu dans les dernières publications.

La rumeur a notamment été relayée sur X par le député européen Marcel de Graaff, membre du parti néerlandais eurosceptique et conservateur Forum pour la démocratie (FvD). Son message a été vu plus de 90.000 fois.

On ignore qui est exactement Mme Theilhet. Selon nos recherches, une certaine Catherine Teilhet (notez le « h » manquant) a bien travaillé à la mairie de Paris, mais nous n'avons pas été en mesure de vérifier si cette personne a collecté et comparé les chiffres cités plus haut. Mme Teilheit n'a pas répondu à un courrier électronique de la Deutsche Presse-Agentur (dpa).

Chiffres infondés

L'article de blog se réfère à un tableau Excel, qui compilerait des chiffres soi-disant issus de la base de données de l'EMA. Toutefois, ce tableau ne contient aucune référence, ni de lien vers des données précises de l'EMA.

Il ne fournit en outre aucune information sur la méthodologie adoptée, ni sur les vaccins concernés. S'agit-il du nombre d'effets secondaires d'un type de vaccin anti-Covid en particulier ou de tous les vaccins ? Quelle méthode de calcul a été utilisée ? Quels pays ont été étudiés ? Toutes ces informations sont manquantes.

Si l'on suppose que les chiffres se réfèrent au nombre de cas d'effets secondaires suspectés signalés pour tous les vaccins anti-Covid, comme le laisse penser l'article, alors ces chiffres sont incorrects, a déclaré l'EMA dans un mail à la dpa.

« Nous avons vérifié la base de données EudraVigilance et pouvons confirmer que tous les chiffres du tableau sont inexacts et fortement gonflés (dans certains cas par plus de dix fois) », a souligné une porte-parole.

L'EMA a examiné les données sur tous les effets secondaires de tous les vaccins anti-Covid dans la base de données EudraVigilance, référence européenne pour la notification et l'évaluation des effets indésirables suspectés de médicaments autorisés dans l'UE.

Une base de données complexe

EudraVigilance est un système de signalement spontané. Ces notifications sont effectuées par diverses entreprises et agences gouvernementales, comme les firmes pharmaceutiques et les agences nationales de médicaments de chaque Etat membre de l'UE.

EudraVigilance reçoit une énorme quantité de données, qui ne peuvent être interprétées aisément. « Les systèmes de signalement spontané tels qu'EudraVigilance sont très complexes et nécessitent un personnel dédié possédant une connaissance approfondie de la surveillance des médicaments, sinon il est très facile de tirer des conclusions trompeuses », a précisé l'EMA à la dpa.

Pour cette raison, l'intégralité de la base de données EudraVigilance n'est pas accessible au grand public. Une collection de ces données est néanmoins disponible sur le site www.adrreports.eu dans le but d'informer les professionnels de la santé et le public sur les effets secondaires suspectés qui ont été rapportés pour des médicaments spécifiques.

Dans tous les cas, l'Agence européenne des médicaments ne peut ajuster les données d'EudraVigilance comme bon lui semble. L'EMA reçoit, collecte et visualise les données, mais ne peut modifier ou supprimer les notifications. Seul le déclarant peut le faire, comme l'a signalé l'EMA à la dpa et l'explique le site web d'EudraVigilance.

En toute logique, le nombre de signalements reçus ne devrait faire qu'augmenter avec le temps. Toutefois, une diminution peut s'expliquer par plusieurs raisons. Lorsqu'un rapport de suivi a été soumis deux fois (par exemple, par un patient et un médecin), ces rapports en double sont identifiés lors de l'examen des données et combinés en un seul rapport. Il est également possible qu'un signalement soit modifié ou annulé par un déclarant.

Augmentation des cas d'effets secondaires suspectés entre 2021 et 2024

Les pathologies mentionnées dans le tableau Excel sur lequel se fonde l'article de blog peuvent être des effets secondaires de la vaccination anti-Covid.

A la demande de la dpa, l'EMA a comparé les signalements d'effets secondaires suspectés, de novembre 2021 à janvier 2024. Dans cet intervalle, l'agence européenne a constaté une augmentation du nombre de cas signalés. Il apparaît donc impossible que l'agence ait supprimé des milliers de cas d'effets secondaires, comme le prétend l'article.

Précisons également que les chiffres mentionnés concernent des effets secondaires « suspectés » des vaccins anti-Covid. Cela signifie des problèmes médicaux qui surviennent après la vaccination, mais qui ne sont pas nécessairement provoqués par le vaccin. Il s'agit d'une nuance importante qui n'a pas toujours été bien comprise en ligne, comme en témoignent plusieurs fact-checks de la dpa à ce sujet.

(Situation au 20.02.2024)

Liens

Publications Facebook I, II (versions archivées I, II)

Publication X (version archivée)

Publication Telegram (version archivée)

Article publié sur Covidfactuel.fr (version archivée)

Publication X de Marcel de Graaff (version archivée)

Bulletin municipal officiel de Paris (version archivée)

Tableau Excel (version archivée)

A propos des notifications sur EudraVigilance (version archivée)

A propos de la base de données adrreports.eu (version archivée)

A propos de la qualité des données sur EudraVigilance (version archivée)

Fact-checks de la dpa I, II

À propos des fact-checks de la dpa

Ce fact-check a été rédigé dans le cadre du programme indépendant de vérification de Facebook/Meta. Plus d’informations au sujet de ce programme peuvent être trouvées ici. Pour en savoir plus sur la façon dont Facebook/Meta gère les comptes qui diffusent des informations erronées, cliquez ici.

Si vous avez des objections ou des remarques, merci de les envoyer à l'adresse factcheck-belgium@dpa.com en incluant un lien vers la publication Facebook concernée (voir le modèle à utiliser ici).

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