De fausses affirmations sur la réponse immunitaire des personnes vaccinées
29.10.2021, 17:38 (CEST)
Les personnes vaccinées risquent-elle de perdre de façon permanente leurs « défenses naturelles » contre le Covid-19 ? C’est ce qu’indique un post Facebook partagé sur un groupe belge (archivé ici). L’auteur du message se base sur un rapport des autorités britanniques pour affirmer que les vaccins pourraient causer un tel phénomène.
Évaluation
Ces affirmations sont fausses. Le document des autorités sanitaires britanniques fait état d’un phénomène attendu, qui soutient justement l’efficacité des vaccins. L’idée selon laquelle les vaccins contre le Covid-19 pourraient avoir un impact négatif sur les défenses naturelles des personnes vaccinées ne repose sur aucune base scientifique, ont expliqué plusieurs experts à la dpa.
Faits
L’utilisateur Facebook partage un document de l’Agence britannique de sécurité sanitaire (UK Health Security Agency – UKHSA). Il s’agit d’un rapport de surveillance des vaccins contre le Covid-19 en date du 21 octobre 2021.
L’utilisateur attire l’attention sur la page 23 de ce rapport. Cette page porte sur la séropositivité, c’est-à-dire la présence d’anticorps spécifiques, dans ce cas-ci liés au Covid-19. Plusieurs échantillons de donneurs de sang au Royaume-Uni ont été analysés. Les résultats du rapport concernent ici des tests pour la protéine Spike (appelée Roche S dans le document), pour laquelle des anticorps peuvent être détectés après une infection au Covid-19 ou suite à une vaccination, et la nucléoprotéine (Roche N dans le document), pour laquelle des anticorps peuvent être détectés uniquement après une infection.
Le virus SARS-CoV-2, qui provoque la maladie Covid-19, est en effet constitué de multiples antigènes, c’est-à-dire des molécules contre lesquelles notre système immunitaire peut réagir et produire des anticorps. Il existe deux antigènes importants dans le virus SARS-CoV-2, observe l’immunologue Sophie Lucas : la protéine S (Spike), située à la surface du virus, et la protéine N (nucléoprotéine), située à l’intérieur du virus.
Dans son rapport, l’UKHSA indique (traduction de l’anglais) : « Les estimations de séropositivité pour les anticorps S chez les donneurs de sang sont susceptibles d'être plus élevées que ce à quoi on pourrait s'attendre dans la population générale et cela reflète probablement le fait que les donneurs sont plus susceptibles d'être vaccinés. Les estimations de séropositivité pour les anticorps N sous-estimeront la proportion de la population précédemment infectée en raison de (i) les donneurs de sang sont potentiellement moins susceptibles d'être exposés à une infection naturelle que les individus du même âge dans la population générale (ii) le déclin de la réponse en anticorps N au fil du temps et (iii) des observations récentes provenant des données de surveillance de l'Agence britannique de sécurité sanitaire (UKHSA) selon lesquelles les niveaux d'anticorps N semblent être plus faibles chez les personnes qui contractent l'infection après 2 doses de vaccination. »
Pour une personne lambda, cette dernière phrase pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un phénomène anormal. Pourtant, il n’en est rien. Le fait que les niveaux d’anticorps contre la protéine N soient moins élevés chez les personnes vaccinées et atteintes du Covid-19 que chez les personnes infectées mais non vaccinées, est normal et attendu, souligne Sophie Lucas, présidente de l'Institut de Duve, un centre de recherche biomédicale de l'Université catholique de Louvain. Cela reflète plutôt l’efficacité des vaccins et ne prouve en aucun cas que les personnes vaccinées « risquent de perdre leurs défenses naturelles » contre la maladie de manière définitive, contrairement à ce qu’avance la publication Facebook.
Ce que l’observation de l’UKHSA signifie, analyse Sophie Lucas, c’est que l’évaluation de la séropositivité « d’anticorps anti-N ne permet pas d’évaluer avec précision (elle sous-estime) la proportion de personnes qui ont été infectées ‘naturellement’ par le virus » pour les trois raisons citées ci-dessus.
La vaccination d’une personne va en fait entraîner la fabrication d’anticorps, mais seulement contre les antigènes contenus dans le vaccin. Dans le cas des vaccins contre le SARS-CoV-2, il s’agit uniquement de l’antigène S. Grâce à cette toute petite partie du virus – qui n’est pas suffisante pour causer la maladie infectieuse Covid-19 – la personne vaccinée va commencer à produire des anticorps « anti-S » mais pas d’anticorps « anti-N », puisque l’antigène N n’est pas présent dans les vaccins, explique la professeure. Les anticorps « anti-S » sont les plus importants, car ils peuvent être « neutralisants ». Ils se lient à la surface du virus et l’empêchent d’entrer dans les cellules de la personne exposée.
Une personne non vaccinée qui est atteinte du Covid-19 va quant à elle produire un grand nombre d’anticorps, dont des anticorps « anti-S et anti-N ».
« On observe que les personnes vaccinées contre le SARS-CoV-2 qui font néanmoins l’infection (ceci arrive occasionnellement parce que si les vaccins sont très efficaces, ils ne sont pas efficaces à 100%) font des formes moins sévères de l’infection par rapport aux non-vaccinés (…) C’est l’effet bénéfique, attendu, de la vaccination. C’est parce que les vaccinés qui font malgré tout l’infection éliminent plus vite le virus et contrôlent mieux sa multiplication grâce aux anticorps anti-S, et ils sont donc moins malades que s’ils n’avaient pas été vaccinés. Par conséquent, si le virus se multiplie moins, leur système immunitaire est moins exposé et donc moins stimulé par les antigènes du virus, comme N, qui n’étaient pas présents dans le vaccin. Parce que le vacciné est protégé par les anticorps anti-S qu’il a fait suite à la vaccination. Donc ils font moins d’anticorps anti-N parce qu’ils ont déjà des anticorps anti-S, et ils font une infection moins sévère s’ils en font une malgré le vaccin : c’est une preuve supplémentaire de l’efficacité des vaccins ! », conclut Sophie Lucas.
C’est ce que résume également Pierre Coulie, lui aussi immunologue et professeur à l’Institut de Duve. Les vaccins servent justement à stimuler notre système immunitaire, pas à l’affaiblir. L’observation de l’UKHSA « est en réalité le reflet de l’efficacité vaccinale », abonde-t-il.
« Après une infection, la partie du virus contre laquelle nous produisons le plus d’anticorps, c’est la protéine N, ou nucléoprotéine du virus SARS-CoV-2. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas contre la protéine S, celle qui est dans les vaccins. Lorsqu’on est vacciné, la majorité des virus que nous respirons sont neutralisés par les anticorps anti-S que nous avons acquis grâce au vaccin. L’infection est donc moins forte (peu voire pas de symptômes) : moins de virus qui infectent que si on n’est pas vacciné. L’immunisation que nous avons alors contre des composants du virus qui comme N n’étaient pas dans le vaccin, est donc moins forte chez les vaccinés que chez les non-vaccinés », déclare-t-il à la dpa.
Un individu non vacciné et infecté développe ainsi « des anticorps contre toutes les protéines du virus. Quand un individu a été vacciné avec la protéine Spike, par exemple, l'infection par le virus se heurte à une réponse immunitaire contre Spike. Cette réponse va réduire fortement la persistance du virus, c'est le but recherché... Mais cette moindre persistance du virus induira beaucoup moins d'anticorps contre les autres protéines du virus », précise de son côté Éric Muraille, immunologiste et biologiste à l’Université libre de Bruxelles.
Il s’agit d’un effet « connu » et « qui n’a rien d’inquiétant », poursuit-il. « La capacité de l'individu vacciné à faire des anticorps contre des protéines autres que celles du virus n'est absolument pas réduite », insiste-t-il.
Ce n’est pas la première fois que les rapports de l’UKHSA sur les vaccins contre le Covid-19 font l’objet d’un détournement ou d’une mauvaise interprétation. D’autres publications ont également circulé sur Facebook, affirmant à tort que les données de l’agence britannique prouveraient que la vaccination anti-Covid entraîne une destruction du système immunitaire, comme l’a remarqué l’AFP.
(État des lieux au 29/10/2021)
Liens
Publication Facebook (archivé)
Rapport de surveillance de l’UKHSA (archivé)
Définition de la séropositivité (archivé)
Fact-check de la dpa sur la protéine Spike
À propos de Sophie Lucas (archivé)
À propos de l’Institut de Duve (archivé)
À propos de Pierre Coulie (archivé)
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